jeudi 25 avril 2013

Faut-il protéger les lanceurs d'alerte ?


Hier, un ancien ingénieur de PIP a été cité comme témoin à la barre du tribunal correctionnel de Marseille dans l'affaire des prothèses mammaires non conformes. Il raconte comment il savait que le gel était non conforme, comment il ignorait sa nocivité, comment rongé par le remords il a demandé à démissionner, comment il a alors obtenu une promotion, comment il a demandé à nouveau à démissionner, comment il a finalement démissionné pour de bon. Il raconte surtout son cas de conscience. Dénoncer ou ne pas dénoncer ? Que deviendrait la boîte et ses 100 employés. Et leurs 100 familles ?

Bien sûr, pas de checklist qui puisse nous dire comment sortir d'un dilemme à tous les coups, ce serait trop facile. Mais ne baissons pas les bras, la DSE nous donne des clés. Faut-il dénoncer notre employeur à la moindre incartade ?

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Responsabilité lourde
Tout d'abord, on peut constater que l'Eglise met clairement la responsabilité sur le dos des individus. La conscience n'est pas tout l'homme, mais c'est la personne qui « est à la base des actes d'intelligence, de conscience et de liberté » (#131 du compendium). Et ce qui nous échoit est une responsabilité entière et exigente.
Entière
On ne peut pas se retrancher derrière une organisation, l'entreprise, l'Etat, la société, pour mettre en veilleuse sa conscience personnelle. « C'est aux personnes que revient le développement des attitudes morales, fondamentales pour toute vie en commun qui se veut véritablement humaine (justice, honnêteté, véracité, etc...) qui ne peut en aucun cas être simplement attendue des autres ou déléguée aux institutions. [Il revient en particulier à ceux qui exercent des responsabilités professionnelles à l'égard des autres d'être la conscience vigilante de la société] » (#134 du compendium. Le #163 parle aussi de « coresponsabilité avec tous et à l'égard de tous »)
Exigente
La conscience doit faire abstraction de l'intérêt propre de celui qui l'exerce : « Il revient à la conscience individuelle [… d'établir que] le profit individuel de l'agent économique, bien que légitime, ne doit jamais devenir l'unique objectif. A côté de celui-ci, il en existe un autre, tout aussi fondamental et supérieur, celui de l'utilité sociale, qui doit être réalisé non pas en opposition, mais en cohérence avec la logique du marché. » Faute de bien comprendre ça, il y a un risque que l'activité économique « dégénère en une institution inhumaine et aliénante, avec des répercussions incontrôlables. ». Le dossier PIP est un triste exemple de ce que lorsqu'on perd le sens de l'activité économique qui est de poursuivre le bien commun par la fourniture de biens et services, tout peut dégénérer. Ce dossier est donc le signe qu'on doit traiter les signes de cette « perte de Nord magnétique » le plus tôt possible.

La conscience ne s'éteint pas quand on va travailler
L'exercice de la conscience ne s'arrête pas quand on franchit la porte du boulot... Au contraire, les employeurs et la loi doivent encourager cet exercice au travail : « Le magistère a voulu mentionner quelques droits des travailleurs en souhaitant leur reconnaissance dans les ordonnancements juridiques : le droit à une juste rémunération, le droit au repos, [...le droit à des méthodes de travail] qui ne blessent pas leur intégrité morale, le droit que soit sauvegardée sa personnalité sur le lieu de travail sans être violenté en aucune manière dans sa conscience ou dans sa dignité » (#301)
Au-delà de ce « droit », des aides doivent être mises en place pour éduquer cette conscience au travail. Et c'est le rôle des syndicats : « C'est au syndicat que revient l'éducation de la conscience sociale des travailleurs afin qu'ils se sentent partie active, selon les capacités et aptitudes de chacun, dans la construction du bien commun universel » (#307)
Si on oublie que « faire grandir l'homme qui travaille », avant de « produire quelque chose » est le but premier du travail, « le travail perd sa signification la plus vraie et la plus profonde : dans ce cas, hélas fréquent et diffus, le travail […] se transforme en ennemi de sa dignité.

Au-delà d'un simple droit, un devoir
Alors on comprend bien que l'exercice de la conscience, plus qu'un droit, est un devoir. Et il commence dès la première incartade. « Lorsqu'ils sont appelés à collaborer à des actions moralement mauvaises, ils ont l'obligation de s'y refuser. […] Cette collaboration[, même formelle,] ne peut jamais être justifiée, ni en invoquant le respect de la liberté d'autrui, ni en prétextant que la loi civile la prévoit et la requiert. Personne ne peut jamais se soustraire à la responsabilité morale des actes accomplis et sur cette responsabilité chacun sera jugé par Dieu lui-même » (#399)
Au-delà d'un simple devoir, cette conscience prépare la grandeur de l'homme. « L'évangile annonce et proclame la liberté des enfants de Dieu, rejette tout esclavage qui en fin de compte provient du pêché, respecte scrupuleusement la dignité de la confiance et son libre choix » (#576). La conscience se manifeste alors par des actes de ''jugement'' qui reflètent la vérité sur le bien. Le degré de maturité de l'homme se mesure par une pressante recherche de la vérité et, dans l'action, par la remise de soi à la conduite de cette conscience ». (#139) Bref, et c'est là qu'on comprend que la conscience n'est pas tout l'homme. C'est bien de faire la différence entre le bien et le mal. Mais le chrétien choisit le bien.

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Suite aux scandales PIP et Médiator, une loi est passée sur les « lanceurs d'alerte », visant à protéger les lanceurs d'alerte contre toute sanction pénale ou disciplinaire, et à fiabiliser et tracer le traitement des « alertes » que l'administration reçoit régulièrement, justifiées ou non. Cette protection va dans le bon sens en ce qu'elle facilite l'exercice de la conscience en diminuant les risques pris par le lanceur d'alerte. Le risque d'abus existe très clairement, et ce droit nouvellement créé doit être perçu par ceux qui en profiteront comme attaché au devoir de ne lancer que des alertes justifiées, en évitant les règlements de compte ou autre blocage égoïste de projets. L'administration devra veiller à garder le sens de cette réforme : encourager les consciences à s'exprimer dans le sens du bien commun.
Petit exercice pour ce soir : trouver une collaboration que je fais (même formelle, même par absence d'action) à des actions moralement mauvaises... et trouver comment en sortir.


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