Le
texte introductif à la messe des rameaux terminait sur une phrase de
circonstance. Aux Pharisiens qui demandaient à Jésus de faire taire
les foules qui le louaient, il répond :
« S'ils
se taisent, les pierres crieront » Luc 19,40
En
attendant, l'après-midi n'a pas été marquée par un silence trop
pesant, rue de la Grande Armée à Paris. Peut-être étions-nous
déjà les premières pierres qui criaient pour que le message passé
sous silence soit entendu. D'autres suivront.
On
a beaucoup parlé des échauffourées en marge de la manif. Sans
surprise, les pro s'offusquent du comportement de certains
manifestants (cf #285 du compendium de la doctrine sociale de l'Eglise : « les croyants
devront se distinguer [le dimanche] par leur modération, en évitant
tous les excès et les violences qui caractérisent souvent les
divertissements de masse. Le jour du Seigneur doit toujours être
vécu comme le jour de la libération »). Et les anti
s'offusquent des actions violentes des CRS.
L'offuscation est un
sentiment à la fois sain et parfois un peu imparfait. Le cardinal
Ratzinger comprenait en effet la béatitude « Heureux les
affamés et assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés »
comme un encouragement à chercher et regretter dans le monde les
sources d'injustice pour pouvoir les combattre, et donc rassasier
notre soif de justice. A l'inverse, l'Eglise garde toujours une
approche prudente sur la justice et notamment sa mise en œuvre trop
mécanique. « Seule, la justice ne suffit pas. Elle peut même
en arriver à se nier elle-même, si elle ne s'ouvre pas à cette
force plus profonde qu'est l'amour » (#203 du compendium).
Bref, une chose est sûre : compter les points n'est pas une
bonne approche pour l'analyse de cette manifestation !
Ceci
étant dit, le magistère nous donne quelques clés de lecture sur la
résistance.
Pour
commencer, le magistère signale (#398) que « si la loi est en
contraste avec la raison, on l'appelle loi inique ; dans ce cas,
toutefois, elle cesse d'être loi et devient plutôt un acte de
violence »
Tout
en disant que la résistance passive est préférable à la violence,
le magistère donne ensuite les conditions d'exercice d'un droit de
résistance (éventuellement violent voire armé) :
- en cas de violations certaines, graves et prolongées des droits fondamentaux
- après avoir épuisé tous les autres recours
- sans provoquer des désordres pires (ce qui est une restriction claire à l'usage de violence ou d'armes dans l'exercice d'un droit de résistance)
- s'il y a un espoir fondé de réussite
- s'il est impossible de prévoir raisonnablement des solutions meilleures
On
peut penser que ces clés de lecture sont donc aussi intéressantes
pour des cas où une résistance armée n'est pas nécessaire, mais
où une résistance doit être montée, pour savoir si cette
résistance est alors légitime ou non. (le respect de l'autorité
légitime étant sinon la norme obligatoire pour les chrétiens commeon a déjà pu le dire ici)
En
faisant cette petite lecture, on peut penser, en vrac :
- qu'aller provoquer un CRS en l'insultant ou en tapant sur son bouclier n'apporte pas d'espoirs fondés de réussite de faire tomber la loi Taubira.
- Qu'envoyer des lacrimogènes sur des poussettes est susceptible de provoquer des désordres pires que quelques dizaines de personnes qui rentrent sur les Champs-Elysées.
- Que se voir refuser les Champs-Elysées n'est pas en soi une violation grave, certaine et prolongée des droits fondamentaux et qu'il n'est pas légitime de résister à cette demande des autorités.
En
continuant la lecture, on voit que pour contrer ce qui leur apparaît
comme un risque d'une violation certaine, grave et prolongée de
droits fondamentaux, les organisateurs de la manif pour tous ont
épuisé tous les autres recours (CESE, manifestations, meetings,
happenings, contentieux administratifs, ...) et qu'ils sont donc
aujourd'hui et depuis les premières manifestations dans une phase de
« résistance ». Leurs multiples appels, avant et lors de
la manifestation, pour rester calme, pour éviter les débordements,
pour aimer les homosexuels, et pour bannir toute violence de cette
action, ont pour but d'éviter de créer des désordres pires que
ceux qu'ils veulent combattre. Leurs actions d'envergure ont un
espoir fondé de réussite même si cet espoir n'est pas une
certitude. Et je crois qu'ils ont tenté toutes les bonnes solutions
raisonnablement envisageables... Je ne crois pas me tromper en disant
que l'un ou l'autre ont lu le compendium et en ont fait leur
miel... !
Pour
finir et pour chacun d'entre nous, un chemin pour les ultimes jours
qui nous séparent de Pâques dans notre relation au gouvernement
actuel : (#517) « L'Eglise enseigne qu'une paix véritable
n'est possible que par le pardon et la réconciliation. […] Le
poids du passé, qui ne peut pas être oublié, ne peut être accepté
qu'en présence d'un pardon réciproquement offert et reçu : il
s'agit d'un parcours long et difficile, mais pas impossible. Le
pardon réciproque ne doit pas annuler les exigences de la justice
ni, encore moins, barrer le chemin qui conduit à la vérité :
justice et vérité représentent plutôt les conditions concrètes
de la réconciliation »... Bref, un peu de travail des deux
côtés. La paix véritable avec le gouvernement, on en a besoin dans
cette période difficile sur le plan écologique, économique,
social. On peut commencer, tout en continuant à rechercher la vérité avec lui. Le gouvernement nous rattrapera tôt ou
tard sur ce chemin si on l'aide à y rentrer.