dimanche 13 mai 2012

Faut-il interdire de fumer sur les terrasses couvertes ?


Dans l'actualité de la semaine, vient la question de la fumée sur les terrasses des restaurants et bars qui sont couvertes par des bâches... La cour d'appel de Paris rejette la demande des associations de protection des droits des non-fumeurs qui considéraient que ces terrasses bâchées sont des « lieux couverts et fermés ». Le syndicat des hôteliers, restaurateurs, cafetiers et traiteurs se félicite de cette décision qui pour lui vient rejeter une demande qui « veut aller au-delà de la loi et interdire de fumer partout ». La cour de cassation va visiblement devoir se prononcer, l'association ayant l'intention de se pourvoir en cassation. Et je laisserai donc la cour donner son avis sur la conformité à la loi actuelle de cette pratique... En revanche, on peut se demander si des éléments de la doctrine sociale de l'Eglise nous permettent d'approcher ce sujet sur le fond.

Un problème environnemental ?
La première chose qui frappe quand on creuse le sujet … c'est qu'il n'y a pas grand chose dans les écritures saintes, le compendium, ou les écrits du Vatican qui concerne l'air (à l'inverse de l'eau où ça déborde de tous les côtés, sans jeu de mot)... Quelques apparitions du mot « air » dans la bible, qu'on peut compter sur les doigts d'une main et qui ne parlent pas de qualité de l'air (c'est vrai qu'au temps de rédaction, la qualité de l'air n'était pas encore le sujet qu'il devient aujourd'hui). Le mot « air » n'apparaît pas dans le compendium (!), le mot « atmosphère » une seule fois. Et une recherche rapide sur les autres textes ne donne pas grand'chose... Mais ça n'empêche pas de faire une petite analyse de la question. Notamment en repartant des principes de la DSE (of course !), mais également des éléments de doctrine sur la sauvegarde de l'environnement qui ont quand même le droit à un chapitre du compendium.

En effet, même si la cigarette ne pose pas de vrais problèmes « environnementaux » à proprement parler, à l'échelle d'un repas sous bâche, la qualité de l'air respiré sur des terrasses couvertes dépasse de très loin les critères de qualité de l'air habituels, comme semblent l'indiquer les associations, qui sur ce point ont probablement raison. L'aspect sanitaire reste probablement limité, les poumons ayant un certain pouvoir d'auto-nettoyage lorsqu'ils se remettent à respirer de l'air propre. La gêne en revanche peut être réelle, et c'est bien là l'un des objectifs du développement durable : préserver les services rendus par la Nature et la qualité de ces services. Pour l'air, il s'agit d'avoir un air qui permette de vivre correctement, et qui soit de qualité « agréable ».

La protection de l'environnement est une question de solidarité
Les évêques de France apportent un éclairage nouveau et lumineux sur la protection de l'environnement dans un document qui vient de paraître. Cette protection est une application du principe de solidarité vis-à-vis de nos contemporains, et de nos successeurs. « Un tel projet commun du monde à venir suppose que nous apprenions à cultiver entre nous des relations de solidarité et de fraternité. Pour un vrai développement solidaire et durable, il nous faut tisser une interdépendance et une réciprocité qui ne soient pas mesurées en termes de simple équivalence, mais de « bien vivre ensemble ». Les enfants d'un même Père se savent appelés à vivre en sœurs et frères, au sein d'un même monde, conscients qu'il n'y a qu'une seule terre pour tous, aujourd'hui et demain » (enjeux et défis écologiques pour l'avenir, p30). Cette compréhension permet de caler beaucoup de problèmes : (dit avec mes mots) la protection de l'environnement permet d'exercer notre solidarité vis-à-vis de nos successeurs, mais la « consommation » de ressources naturelles (espace, matériaux...) peut également être compris comme de la solidarité « exercée malgré eux » par nos successeurs qui nous laissent les moyens de vivre notre vie correctement. Comme ils ne peuvent pas s'exprimer aujourd'hui, à nous de comprendre quelle est la solidarité que nous pouvons mettre en œuvre, à notre profit, « par intérim du futur » ! La distinction entre futur et présent tend donc à s'estomper entre les enfants de Dieu d'aujourd'hui et de demain qui sont tous frères, et nous donne une responsabilité particulière aujourd'hui vis-à-vis du futur que nous représentons aujourd'hui (et non pas seulement une responsabilité de protecteurs)... Mais du coup, la solidarité vis-à-vis de nos contemporains n'est pas moins importante que la solidarité vis-à-vis de nos successeurs dans la préservation de la Nature et de sa beauté, et c'est pour ça que le sujet des cigarettes en terrasse bâchée peut être traité comme un sujet environnemental même s'il n'a pas d'effet sur le futur, mais seulement dans l'instant. « Le Magistère souligne la responsabilité qui incombe à l'homme de préserver un environnement intègre et sain pour tous [...] promouvoir l'environnement comme maison et comme ressource en faveur de l'homme et de tous les hommes, […] éliminer les facteurs de pollution, [et] assurer des conditions d'hygiène et de santé adéquates pour de petits groupes comme pour de vastes établissements humains […] La protection de l'environnement constitue un défi pour l'humanité tout entière : il s'agit du devoir, commun et universel, de respecter un bien collectif, destiné à tous, en empêchant que l'on puisse impunément faire usage des [...] éléments naturels comme on le veut, en fonction de ses propres besoins économiques ». (#465 et 466 du compendium)

Comment mettre en œuvre cette solidarité ?
L'objectif étant donné, quels moyens lui attribuer ? Le recours à la loi est-il nécessaire ? L'Eglise répond oui pour la protection de l'environnement par une traduction juridique ferme : « La responsabilité à l'égard de l'environnement doit trouver une traduction adéquate au niveau juridique. […] Chaque Etat, dans son propre territoire, a le devoir de prévenir la dégradation de l'atmosphère [… notamment …] en protégeant ses concitoyens contre le risque d'être exposés à des agents polluants ». Néanmoins, ce moyen « légal » n'est pas suffisant (en effet, on ne peut attendre des institutions qu'elles se substituent à l'individu dans ses obligations morales)... « Les normes juridiques ne suffisent pas à elles seules ; à côté d'elles doivent mûrir un sens fort de responsabilité, ainsi qu'un changement effectif dans les mentalités et dans les styles de vie ».
Ce sens de responsabilité pourrait être la clé pour ce sujet particulier : il est déjà plus ou moins la « bonne pratique » des fumeurs qui demandent à leurs voisins si la fumée ne les dérange pas, ce qui me semble un bon premier pas pour répondre à l'objectif de solidarité. La bonne pratique étant probablement un peu insuffisante (les clients arrivant après le début de la cigarette en ont les effets sans avoir eu l'occasion de s'exprimer, par exemple) et n'étant en plus pas toujours respectée, une loi peut avoir un certain sens et règle durablement le problème en imposant la solidarité... Ce n'est pas complètement satisfaisant car ça fait porter à l'Etat les modalités de mise en oeuvre de nos obligations morales, mais ça peut n'être qu'un premier pas dans la direction d'une intégration de ce principe de solidarité dans la culture commune.

***
En tout cas, on peut se réjouir de l'initiative des évêques de France qui se sont lancés dans une réflexion sur l'écologie et ont publié un premier début de réflexion annonçant qu'« une résolution a été prise au terme de l'assemblée des évêques en novembre : que la question écologique devienne une préoccupation permanente de l'Eglise en France ». Le sujet de la qualité de l'air sera certainement développé dans leurs prochaines réflexions.


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