dimanche 4 mars 2012

Quelle place pour les prisonniers ?


Une semaine après l'annonce d'un nouveau record historique de la population carcérale (65699 détenus le 1 février), on apprend que la décision de créer 24000 places de prison en plus d'ici 5 ans vient d'être prise. La décision permettra, nous dit-on, de réduire le nombre de peines non exécutées de 100.000 l'an dernier à 35.000 en 2017, ce chiffre ne concernant que les délits dans la mesure ou les peines pour crimes sont exécutées sans délai. Le coût de la création de ces 24000 places de prison est évalué à 3,57 milliards d'euros pour l'Etat.

A-t-on besoin de ces 24000 places de prison supplémentaires ?


  1. Pour la société

Le droit doit être respecté, en vue de Dieu
Le langage de l'Église sur le respect du droit est on ne peut plus clair : il faut respecter le droit du pays dans lequel on se trouve, tant qu'il n'est pas contraire au "droit naturel". Ce droit naturel est fondé sur la nature même de l'homme : liberté, propriété, sûreté, résistance à l'oppression (pour les révolutionnaires français). Sans ambiguïté et avec grande pédagogie, Saint Paul nous rappelle ce devoir qu'a chacun de respecter le droit, lui qui a pourtant subi une mise en prison injuste :
"Que chacun se soumette aux autorités en charge. car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu et celles qui existent sont constituées par Dieu. [...] Elle est un instrument de Dieu pour te conduire au bien. [...] Aussi doit-on se soumettre non seulement par crainte du châtiment, mais par motif de conscience". (Romains, 13, 1 et suite)

Le pouvoir temporel est un pouvoir qui organise et permet de faire grandir la cité et l'homme dans la cité. Il concourt donc aux objectifs de Dieu pour l'homme, et il faut s'y soumettre.

En cas de non respect, une sanction peut être nécessaire
A ces fins, et "Pour protéger le bien commun, l'autorité publique légitime a le droit et le devoir d'infliger des peines proportionnées à la gravité des délits" (#402 du compendium de la DSE) pour réprimer les comportements délictueux et remédier au désordre créé par ces comportement. Il est donc naturel que l'Etat dispose de la légitimité pour infliger des peines financières, mais aussi d'emprisonnement qui sont parfois un moyen nécessaire pour faire cesser les troubles.


Notons dès à présent que ce n'est pas pour "venger" une victime ou sa famille qu'on inflige une peine de prison à son agresseur. L'affliction de la victime peut être grande et doit faire l'objet d'une attention aimante, mais l'attention à l'égard des victimes doit s'exprimer vers elles (accompagnement psychologique, dédommagement éventuel) et non contre l'agresseur en l'excluant de la société dans le but de rendre coup contre coup.¹ La peine de prison se justifie donc uniquement par :
- la nécessité d'empêcher le fauteur de trouble de recommencer et de multiplier le nombre de victimes, ou
- le souhait de la société de "corriger" le contrevenant. De lui permettre de se corriger. De lui donner les moyens de sa sanctification pour qu'il apprenne à se sortir de ce qui le tire vers le mal.

La conséquence de ceci , c'est que les peines doivent être exécutées, et qu'il est donc anormal que des peines restent non réalisées. Ces peines ont été jugées justes par le législateur qui a proportionné la lourdeur de la peine à la gravité du délit et donc la difficulté qu'un coupable aura à sortir de ce qui le tire vers le mal. Elles ont également souvent été jugées justes par un jury de citoyen qui, même s'il n'est pas expert (ce qui pose de nombreuses difficultés), a tenté d'évaluer ce qui était nécessaire pour empêcher que le trouble ne se reproduise.

l'objectif premier des sanctions est la réintégration au sein de la communauté
L'esprit dans lequel la société doit aborder un jugement nous est dévoilé par Matthieu 18,15-20 :
"Si ton frère vient à pêcher, va le trouver et reprends-le, seul à seul. S'il t'écoute, tu auras gagné ton frère. S'il n'écoute pas, prends encore avec toi un ou deux autres, pour que toute affaire soit décidée sur la parole de deux ou trois témoins. S'il refuse de les écouter, dis-le à la communauté. Et s'il refuse d'écouter même la communauté, qu'il soit pour toi comme le païen et le publicain".

Parfois, en fonction de la gravité de l'acte et du danger immédiat que représente le contrevenant pour la société, il faut sauter quelques étapes et l'exclure directement en l'écartant de la communauté via une peine de prison. En revanche, le but premier de toute cette démarche de sanction par l'Etat est de "gagner ton frère". On envoie quelqu'un en prison pour maintenir la confiance et l'unité au sein de la société, et pour rendre droit ce qui est tordu et permettre le plus rapidement possible la réintégration du condamné, redevenu libre, dans la société.


       2. Pour le prisonnier


Le prisonnier a le droit de n'être exclu que si c'est nécessaire
La peine d'emprisonnement est une peine dure. Elle écarte de la société, certes momentanément et en vue de la réintégration, un individu. A ce titre, il est inquiétant qu'un quart des détenus en France soient en attente de procès ou d'appel. On inflige préventivement une peine à certaines personnes qui, peut-être, ne la méritent pas, et ainsi on les écarte de la société. Cette exclusion est à proscrire dès que possible :
"Il faut exclure le recours à une détention uniquement motivée par la tentative d'obtenir des informations significatives pour le procès. En outre, il faut garantir la rapidité des procès : leur longueur excessive devient intolérable pour les citoyens et finit par se traduire en une véritable injustice" (#404 du compendium)

Le passage de l'évangile de Saint Matthieu ci-dessus sur la correction fraternelle nous invite également à éviter autant que possible d'en arriver à l'extrémité qu'est l'exclusion. D'abord une correction fraternelle, puis en petit comité, puis publiquement, avant l'exclusion. C'est peut-être en un certain sens l'application du principe de subsidiarité à la justice : le problème doit être traité au niveau le plus bas possible. La judiciarisation galopante de notre société est inquiétante à ce titre : la correction fraternelle, ou en petit comité ne joue plus son rôle. D'où un engorgement des tribunaux qui ne jouent plus leur rôle dans des délais corrects. C'est le sens du message de Benoît XVI pour le Carême 2012 que je vous invite tous à lire si vous ne l'avez pas encore fait depuis le début du Carême, et qui nous demande de nous rapprocher de nos frères notamment par l'exercice de la correction fraternelle qui nous élève les uns les autres : "Faisons attention les uns aux autres pour nous stimuler dans la charité et les œuvres bonnes" (He 10, 24)


le prisonnier garde sa dignité d'homme même pendant l'incarcération
L'absolu de la dignité de l'homme ne peut pas être mis de côté dans l'exécution d'une peine de prison, quelle que soit la gravité des faits commis. L'homme, même coupable de crimes graves, garde un droit à l'exercice de sa religion, à la possibilité de s'instruire, d'aimer et d'être aimé en retour, etc... Il doit être détenu dans des conditions humaines. A ce titre, la surpopulation carcérale est un vrai problème. En France, 57213 places en prison sont recensées, pour 65699 détenus. Il est anormal que la communication sur l'accroissement du nombre de place en prison ne soit accompagnée que d'un langage sur les peines non-exécutées et pas d'un engagement de résorber les 15% de surpopulation, chiffre qui trahit des situations engageant parfois la dignité humaine. Sur les 24000 places créées, 7000 pourraient être utilisées pour supprimer ce problème.

"La vérité que le juge est appelé à établir n'a rien à voir avec de simples événements et des règles froides, mais avec l'individu concret qui est peut être marqué par des faiblesses mais est doté d'une inaliénable dignité parce qu'il est créé à l'image de Dieu. La nature des sanctions pénales et leurs modalités d'application doivent être de nature à garantir la sécurité de la société, invoquée à bon droit, mais sans s'attaquer à la dignité de l'homme, aimé de Dieu et appelé à se racheter s'il est coupable. La sentence ne doit pas briser cette espérance de rédemption." (discours de Jean-Paul II le 31 mars 2000 au congrès de l'association italienne des magistrats)

Le prisonnier a le droit de recevoir une aide à la réintégration
Le but ultime de l'exclusion est bien la réintégration. A ce titre, la société comme le prisonnier ont un rôle à jouer pour prendre les moyens adéquats pour une réintégration.  Le premier pas a été évoqué plus haut. C'est l'exclusion elle-même qui devient outil de correction : "La peine devient un instrument pour la correction du coupable, une correction qui revêt aussi une valeur morale d'expiation quand le coupable accepte volontairement sa peine. L'objectif à poursuivre est double : d'un côté, favoriser la réinsertion des personnes condamnées ; d'un autre côté, promouvoir une justice réconciliatrice capable de restaurer les relations de coexistence harmonieuse brisées par l'acte criminel". (#403 du compendium)

D'autres outils peuvent et doivent être mis en oeuvre : accompagnement tout au long de la peine pour réussir les démarches à accomplir lors de la sortie de la prison (pour trouver un logement, un emploi, des activités sociales...). L'un des domaines d'application du principe du "bien commun" est "l'option préférentielle pour les pauvres". L'accompagnement des prisonniers à la réintégration est un espace d'application de cette option préférentielle pour les pauvres pour tous ceux qui peuvent s'y engager : personnel pénitentiaire, juges d'application des peines, visiteurs de prison, chacun en ce qui les concerne. Les détenus sont rarement des personnes éduquées et intégrées pour lesquelles la recherche d'emploi et l'intégration dans la société sont "simples". Ils ont besoin de l'aide des hommes "intégrés", et ont droit à cette aide que nous leur devons (cf #289 du compendium). Cette aide est une aide dont chaque détenu, individuellement, a besoin, et ne doit pas consister uniquement en l'émergence d'organisations globales. L'accompagnement individuel par des agents des services publics, des visiteurs de prison, des associatifs, est utile et nécessaire.

Jésus lui-même, dans son pays, se fait "connaître" comme celui qui délivre les captifs à ceux qui ne le connaissaient pas encore :
"Il vint à Nazareth où il avait été élevé, entra, selon la coutume le jour du sabbat, dans la synagogue, et se leva pour faire la lecture. [...] L'esprit du Seigneur est sur moi parce qu'il m'a consacré par l'onction pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur" (Luc 4, 16-19)
A l'image du Christ, tout chrétien doit être un acteur de libération, au sens figuré vis-à-vis de tous nos frères, mais aussi au sens propre à l'égard des détenus de nos prisons.

***

Pour conclure, je dois avouer être sceptique quand j'entends parler de ces 24000 places de prison supplémentaires. Demain ce seront en permanence 90 000 personnes qui seront détenues en France. Soit une personne sur 750 en France. Ce chiffre me paraît très fort. Il est le témoin d'un échec de la société (pas seulement en France) : échec de la société à attribuer des peines justes et nécessaires, ou bien échec de la société à réussir à intégrer tout le monde en frères et soeurs du Christ. L'unité et le Salut pour chacun ("ceux que tu m'as donnés, je n'en ai pas perdu un seul" - Jean 18, 9) est en jeu, et je doute que ces 24000 places supplémentaires soient un pas dans la bonne direction. Pour 3,5 milliards d'euros, j'aurais préféré une action pour redonner de la dignité aux prisonniers en réduisant la surpopulation, ou pour favoriser leur réintégration en finançant des projets de réinsertion.
Espérons que le discours politique sur ces créations de places peut encore évoluer et profiter de ces créations pour résoudre le problème de surpopulation. Dans l'attente, nous pouvons appliquer les paroles de Jésus "J'étais prisonnier et vous êtes venus me visiter" (Mt 25,40) et, chacun à notre niveau, chercher à favoriser la réintégration des prisonniers en devenant visiteur de prison, en accueillant avec tout l'amour mais aussi toute l'attention nécessaire, un ex-détenu dans notre entourage professionnel ou personnel, ou en priant pour eux.




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¹ C'est important, et il faut souvent s'en re-convaincre régulièrement en écoutant les informations : ce n'est pas pas pour "faire du mal à celui qui a fait du mal" qu'on inflige une peine de prison. Les victimes ont souvent des mouvements de cet ordre-là : "il n'a pas eu assez", "ce n'est pas à la hauteur de ce qu'il nous a fait subir", "il faut qu'il soit puni pour ce qu'il a fait". Ces phrases sont souvent largement reprises par les médias et font maintenant malheureusement partie de notre mode d'analyse de ces événements judiciaires. C'est oublier la charité du Christ et le pardon qu'il nous donne à chacun et qu'il nous demande d'avoir les uns pour les autres.

5 commentaires:

  1. Bonsoir,

    Les droits des prisonniers, c'est un joli programme, mais il ne sera jamais appliqué. Pourquoi ? Parce qu'on ne veut pas payer pour ces personnes que l'on a exclues.

    Michel Foucault l'explique assez bien : la prison ne joue pas un rôle de réhabilitation dans notre société. Elle sert d'abord à désigner la déviance afin de bien policer les mœurs. Le déviant ne peut pas rester dans la société et doit en être exclu. C'est ainsi que l'on est passé des peines destinées à frapper l'imagination (pratiquées au Moyen-Age) à un régime qui n'est plus humain qu'en apparence. Dans les faits, la société cherche juste à se débarrasser des déviances (même chose pour la folie !).

    Tant qu'on ne sera pas prêt à réintroduire ces personnes dans notre société, on continuera à construire des prisons. Signe que l'on continue dans cette voie : l'utilisation d'internet par ceux qui cherchent à vérifier la bonne moralité de leurs voisinages et à repérer les délinquants. De même, qui embaucherait quelqu'un qui a un "casier" ? Il suffit de regarder parmi ceux qui nous entoure qui se sent prêt à donner sa chance à un ex-détenu.

    Ce n'est pas parce que la prison est et restera longtemps un lieu d'exclusion qu'il ne faut pas y aller. A l'époque du Christ, la prison ne fonctionnait sans doute pas comme aujourd'hui (le droit étant sans doute moins protecteur et l'esclavage existait). On a sans doute un rôle particulier à jouer dans ces milieux.

    Mais de là à parler de réhabilitation et de droits des prisonniers... Je n'y crois pas.

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    1. Je crois que les associations de visiteurs de prison (www.anvp.org) ont réellement cet objectif de concourir à la réhabilitation des prisonniers. Les SPIP dans les prisons (service péntitentiaire d'insertion et de probation) ont également des travailleurs qui ont à coeur d'entrer dans une logique de réinsertion, et pas juste pour se débarasser de leurs prisonniers et libérer de la place, mais vraiment par souci des hommes qui leur sont confiés. La réhabilitation et les droits des prisonniers passent par là... peut-être une piste pour notre rôle particulier à jouer dans ces milieux !

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    2. Oui, d'accord avec toi : en tant que chrétien, je suis plutôt choqué par la logique dominante que je décrivais précédemment (et dans le post du dessous).

      En revanche, il me semble qu'il serait opportun de regarder quels moyens financiers sont alloués à la construction de nouvelles places au regard de ceux qui sont alloués à la visite (souvent du bénévolat...) et au SPIP (qui a sans doute au moins le mérite d'exister à défaut d'être viable)...

      Bon... Du boulot pour nous !?

      Paul

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  2. L'actualité nous rappelle que le modèle de l'exclusion par la prison demeure nettement dominant.

    La France vient d'atteindre le nombre de 66 445 prisonniers, soit une progression de 6% par rapport à l'an dernier. Si on met ce chiffre en perspective avec le nombre de places opérationnelles (57 213), c'est intéressant...
    Fin février, une loi a été adoptée visant à créer 24 000 nouvelles places (ce qui ne se traduira pas forcément par un parc de 80 000 places (il y a sans doute des places qui vont fermer ou être modifiées pour cause de vétusté).

    Référence de l'article : le Monde du 12 mars 2012.

    Encore aujourd'hui, la piste des peines alternatives et la question de la réinsertion demeurent anecdotiques au regard de l'enfermement.

    Cordialement,

    Paul

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  3. Autre point d'actualité lu dans le Monde d'hier soir (daté du vendredi 16 mars).

    C'est plus du fait divers qu'une vraie analyse politique mais c'est exemplaire de l'attitude de nos concitoyens dès qu'il est question d'un projet "innovant" en matière de prison. En effet, il existe un projet de construction de prison à Saint-Julien-sur-Suran, petit village du Jura de moins de 500 habitants où il n'existe aucune activité économique.

    Un référendum consultatif a montré une opposition de 54% des voix (80% de participation) à ce projet de construction. En effet, l'objectif de cette construction serait de laisser une "certaine liberté de mouvement à l'intérieur de l'établissement" et d'insister sur la réinsertion dès avant la sortie, notamment par la tenue d'un magasin ouvert sur l'extérieur, dans lequel travailleront les prisonniers.

    Visiblement, le journaliste n'a rencontré personne qui soit contre la réinsertion en elle-même, mais visiblement, il faut que cela se fasse ailleurs ("not in my backyard" selon l'expression consacrée par en sciences politiques).

    Il y a d'autres arguments, mais il apparaît que, encore une fois, le mécanisme dominant est que le prisonnier doit disparaître de la société.

    Bonne soirée,

    Paul

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