mardi 28 février 2012

Faut-il lire les sondages ?


J'attends de la campagne présidentielle qu'elle fasse grandir. Qu'elle me fasse grandir en m'apprenant de nouvelles choses sur le monde, qu'elle me donne des idées d'action dans la société, qu'elle me permette de participer à la vie de mon pays. Qu'elle fasse grandir la société française en permettant un débat d'idées qui fasse avancer, sur certains sujets clés, la vision stratégique que la société porte sur certains débats (travail et économie, environnement et développement durable, famille, et pourquoi pas la laïcité ?...). Qu'elle fasse grandir chaque candidat, enfin, en lui permettant de confronter ses idées à la critique diversifiée qui se presse devant lui, et que cela lui permette d'évaluer au mieux comment contribuer au bien commun.
Dans la presse, propositions et contre-propositions s'affrontent, on cherche les petites phrases, les coups d'éclats, et on décortique les sondages. La semaine dernière, j'ai eu l'occasion de lire deux articles sur les sondages. Le premier, d'ordre général, annonçait quelques fluctuations dans les intentions de vote. Le deuxième expliquait la difficulté qu'on a à traiter du cas Marine Le Pen, puisqu'on ne sait pas bien quelle proportion de gens qui vont voter pour elle disent la vérité lors des sondages. Ces deux articles traitaient du sujet de manière complètement désincarnée. Ils ne parlaient pas des idées, des propositions, des programmes, mais se bornaient à des analyses "mathématiques" des sondages, ce que j'ai trouvé très "plat". D'où une question : Un chrétien a-t-il besoin des sondages d'intention de vote ?


Des impacts directs des sondages qui incitent à la prudence lors de la lecture
Si je me base juste sur les articles annonçant les résultats des sondages, je dois dire qu'ils sont finalement peu facilitateurs pour m'aider à grandir ou faire grandir les autres. Ils ne me disent pas comment je peux faire pour créer de l'emploi, comment protéger l'environnement, ou permettre à plus de familles de rester unies dans ce monde moderne. Du coup, ils détournent mon attention des sujets importants qui sont pourtant des thèmes de campagne... A force de lire des articles sur les sondages, je n'ai même pas lu les programmes complets des principaux candidats ! Enfin, les sondages peuvent avoir des impacts plus ou moins mécaniques sur le vote lui-même, sans aucun lien particulier avec les idées des candidats (les indécis sont attirés par "celui qui va gagner", les petits candidats sont délaissés pour préférer le vote utile, ...). On entend par exemple souvent les commentateurs annoncer des phrases du type "être 2% au dessus dans les sondages, c'est bien parce que ça maintient la mobilisation pour le candidat alors qu'au-delà, il risque de subir une abstention plus forte de son électorat". En lisant autrement la phrase, on apprend donc que les sondages sont des créateurs d'abstention ! L'abstention est un signe du désengagement des citoyens du "minimum syndical" qu'on peut attendre d'eux : voter. L'un des cinq principes de la doctrine sociale de l'Eglise est la participation : "La participation s'exprime en une série d'activités à travers lesquelles le citoyen, [...] directement ou au moyen de ses représentants, contribue à la vie culturelle, économique, sociale et politique de la communauté civile. [...] La participation est un devoir que tous doivent [...] exercer, [...] en vue du bien commun. [...] Tous les comportements qui incitent le citoyen à des formes de participation insuffisantes [...] et à la désaffection répandue pour tout ce qui concerne la sphère de la vie sociale et politique doivent être considérées avec une certaine inquiétude : on pense [...] à la pratique de se limiter à l'expression d'un choix électoral, allant même , dans de nombreux cas, jusqu'à s'en abstenir". (#189-191 du compendium de la DSE). Il faut donc regarder avec inquiétude les risques d'abstention qui sont induits par la présentation de certains sondages.

Nous devons faire attention aux raisons qui nous poussent à chercher les sondages
Par opposition à un contexte de sondage d'opinion hors période électorale qui vise à éclairer un dirigeant sur l'adhésion qu'il suscite et donc le crédit sympathie qu'il peut engager pour lancer une réforme nécessaire, les sondages en période électorale ont pour but principal d'anticiper et de prévenir l'avenir.
Jésus, en nous donnant la parabole du petit oiseau (Mt 6, 25-27) qui "ne sème ni ne moissonne, ni n'amasse de provision" mais que "notre Père céleste nourrit", nous invite à ne pas nous inquiéter de ce que nous aurons à boire et à manger à l'avenir, ou du vêtement que nous utiliserons pour nous vêtir. Travaillant aux oeuvres du Père, nous aurons nourriture et vêtement puisque le Père tient à nous bien plus qu'aux petits oiseaux. Jésus nous demande  de "considérer les choses, les saisons et les hommes avec la confiance des fils qui savent ne pas pouvoir être abandonnés par un Père prévoyant" (#453 du compendium). S'inquiéter du nom du prochain président, pour la grande majorité d'entre nous, "ne prolongera pas notre existence même de quelques instants", et chercher à le connaître à l'avance pour ne pas être pris au dépourvu nous freine dans notre élan à "utiliser le temps dont chacun dispose, - le présent - en agissant avec amour filial pour la diffusion de l'Evangile en chaque  lieu  de  la  planète." comme nous l'a demandé Jean-Paul II le 31/12/2001 dans son homélie du Te Deum en nous rappelant que "Pour nous croyants, le sens et le but de l'histoire et de tout événement humain se trouvent donc dans le Christ." (N. Sarkozy ou F. Hollande, là n'est pas la question)
Cette exhortation à ne pas se perdre dans le futur est un appel à vivre le présent de manière active. "En effet, le plan divin du Salut ne place pas la créature humaine dans un état de pure passivité, [...] car le rapport avec Dieu [...] est un rapport de filiation : le même que vit Jésus à l'égard du Père" (#39 du compendium). Entrer dans les débats de fond, militer pour les politiques familiales, soutenir un candidat qui porte des idées compatibles avec la foi chrétienne, ou aller protéger l'environnement et faire vivre des PME qui créent de l'emploi, voilà ce à quoi nous appelle le Christ aujourd'hui, dès avant le changement éventuel de président. La société civile doit continuer à se construire et à grandir même en période électorale. Les tenants du pouvoir doivent continuer à assurer leur rôle jusqu'au dernier moment, présents à leur fonctions et sans s'inquiéter de l'issue des élections. L'expression française "fin de règne" qui décrit des comportements irresponsables pris en fin de mandat par des hommes politiques anticipant leur départ montre l'importance qu'il y a à ce que l'anticipation de changements futurs ne dénature pas la qualité et l'importance de l'action dans le présent.


Lors de cette campagne électorale, les chrétiens porteront donc un regard attentif à ce que les sondages ne détournent pas le sens de leur pensée, leur attention aux sujets politiques importants, la portée de leur action dans le présent de leur vie. La confiance en Dieu notre Père qui veille à nous ouvrir à chacun un  chemin de vie et de sanctification permettra à tous, candidats ou simples citoyens, de rester unis dans la charité que le Christ nous demande d'avoir les uns pour les autres.

dimanche 19 février 2012

Taxer les échanges boursiers ?


L'Assemblée Nationale vient de voter dans la nuit du 15 au 16 février une loi introduisant (article 2) une taxation des échanges boursiers. Il s'agit :
- de taxer à 0,1% les achats d'action à la bourse
- de taxer à 0,01% les opérations de "trading à haute fréquence". Difficile à expliquer en trois mots, mais si j'ai bien compris, il s'agit notamment d'opérations successives faites "très rapidement" à la fois à l'achat et à la vente sur la même action, destinées à jouer sur le fait qu'entre deux instants où le cours de l'action est évalué, les ordres de vente arrivent parfois plus vite que les ordres d'achat (ou inversement). En deux mots, des ordres qui jouent sur des limitations techniques du système pour gagner de l'argent sur le dos d'autres personnes "moins rapides".
- de taxer à 0,01% les opérations sur les "CDS" qui sont des "assurances" contre le défaut de paiement des Etats.

Je vais commencer par tordre le cou à quelques idées classiques qu'on a sur la vision chrétienne de l'argent. On parlera ensuite des échanges financiers, puis de leur taxation.

Le rôle d'un chrétien acteur du monde économique est d'être un bon gestionnaire des richesses qui lui sont confiées


    Quand on pense à un riche, on aurait tort de s'arrêter à l'image du riche qui aura plus de mal à rentrer au royaume des cieux qu'un chameau aura de mal à passer à travers le trou d'une aiguille. Ce riche-là est celui qui "se fait fort de l'oeuvre de ses mains et qui ne compte que sur ses forces" au lieu de manifester "[une humble disponibilité et une ouverture à Dieu, une confiance en lui]" (#324 du compendium de la DSE). Une définition uniquement basée sur la grandeur de ses possessions serait trop réductrice. La richesse matérielle peut entraîner une impression d'indépendance vis-à-vis de Dieu, mais ce n'est pas systématique.
    Au contraire, la parabole des talents (Mt 25, 14-30) vient nous rappeler que "on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas on ôtera même ce qu'il a". L'homme a été placé dans le jardin pour le cultiver et le garder (Gen 2, 15), et c'est ce que fait le serviteur qui reçoit 5 talents et les fait fructifier pour son maître, alors que celui qui ne reçoit qu'un talent et l'enfouit dans la terre oublie de "cultiver" ce don. C'est pourquoi à la fin de la parabole, le "bon gestionnaire" reçoit encore plus, pour qu'il puisse faire fructifier une plus grande somme encore.
    Notre rôle d'acteur économique, aujourd'hui encore, est de faire fructifier les richesses qui nous sont confiées par le Père, non pour nous-mêmes, mais en vue de Dieu (Luc 12,21). Concrètement, il nous faut donc agir dans le monde économique pour nous mettre au "service de l'homme et de la société" (#326 du compendium). Si cette activité d'acteur économique au service de l'homme et de la société génère du profit, c'est a priori une excellente nouvelle puisque ces profits pourront être réinvestis dans le même objectif.

    Il faut donc bien se garder de considérer que les revenus obtenus grâce à des plus values boursières sont par nature "illégitimes" et que cet argument suffit pour décider de les punir en les taxant.

Le développement des marchés permet de lancer de grands projets, mais induit des instabilités

    Le mécanisme de marchés permet d'atteindre plusieurs buts économiques : capacité à lever des fonds suffisants pour de grands projets (combien de cathédrales du moyen-âge ont deux flèches de hauteur différentes car elles n'ont pas réussi à boucler leur budget ?), capacité à faciliter des échanges de produits, et du coup à faire jouer la concurrence, etc.
    Néanmoins, le libre fonctionnement d'un marché n'est pas un but en soi. Le but de l'activité humaine, pour l'Eglise, est toujours la dignité de l'homme et son élévation vers Dieu. Et lorsqu'on constate que des acteurs, sur le marché, perdent leur rôle premier qui est de financer des projets et de faciliter les échanges, il devient juste d'adapter les règles pour limiter les comportements déviants, surtout s'ils viennent empêcher le sens premier de cette logique économique. La recherche du "bien commun" impose parfois de remettre à sa place l'intérêt d'un individu particulier...
    Les "maladies" du marché qu'on peut constater aujourd'hui sont :
- les marchés ne profitent qu'aux pays développés qui ont la main dessus. Les pays pauvres ne profitent que très peu des bienfaits de la fluidité des échanges
- la grande fluidité des échanges permet d'accompagner de grands projets, mais elle permet aussi des explosions très brutales de bulles spéculatives
- la rapidité des échanges, et leur coût nul, fait que de nombreux acteurs s'enrichissent sur les marchés non plus en accompagnant des projets et en les finançant, mais en "jouant" sur les fluctuations du cours sans lien particulier avec l'avancement des projets.

Vers une taxation des échanges boursiers ?

    Il apparaît aujourd'hui nécessaire, donc, de renforcer la stabilité des marchés pour permettre de continuer le grand élan vers une qualité de vie meilleure dans le monde entier qui a lieu depuis plusieurs décennies, tout en tentant de réduire les inégalités entre pays riches et pays pauvres. Les comportements "antisociaux" de traders jouant sur des limitations techniques pour s'enrichir aux dépens d'autres acteurs doivent en revanche être "freinés".
    L'Eglise appelle de ses voeux une taxation sur les produits financiers :
" Des mesures de taxation des transactions financières, avec l’application de taux justes d’impôt, avec des charges proportionnées à la complexité des opérations[...]. Une telle taxation serait très utile pour promouvoir le développement mondial et durable selon les principes de justice sociale et de solidarité, et elle pourrait contribuer à la constitution d’une réserve mondiale destinée à soutenir les économies des pays touchés par la crise, ainsi que la restauration de leur système monétaire et financier;" (Pour une réforme du système financier et monétaire international dans la perspective d’une autorité publique à compétence universelle, 2011)
    La loi votée par l'Assemblée Nationale permet d'aller un peu dans ce sens, puisqu'elle permettra à l'Etat français de récupérer 1 milliard d'euros par année qui lui permettront d'alléger sa dette tout en "freinant" un peu les comportements déviants qui sont plus taxés que les comportements normaux.
- vente très fréquentes d'actions
- volumes d'ordres très importants avec beaucoup d'annulations d'ordres
- spéculation sur les dettes des Etats
    Par rapport à la position de l'Eglise, on peut simplement regretter que ce gain d'argent ne serve pas du tout à soutenir les économies des pays plus pauvres.
    La difficulté rencontrée par la France pour mettre seule cette taxation était identifiée par l'Eglise dans le document de 2011 qui propose la mise en place d'institutions internationales permettant d'homogénéiser les pratiques. Espérons que la France puisse continuer à être acteur efficace de la mise en place de cette taxation par exemple en proposant la création de telles instances, ou à défaut en réussissant à faire adhérer d'autres pays au principe de cette taxe.

samedi 18 février 2012

ouverture du blog


Bienvenue à tous sur ce blog !

Voilà quelques mois que j'ai ouvert le Compendium de la doctrine sociale de l'Eglise (dont vous pouvez vous procurer un exemplaire sur Amazon, ou pour soutenir des organismes plus proches de l'Eglise, la Procure où vos librairies cathos de quartier!)
Le moins que je puisse dire, c'est que j'ai été surpris. Ayant écumé de nombreuses paroisses depuis un certain temps, puisque j'ai été élevé dans la foi catholique par des parents eux-mêmes très proches de l'Eglise, j'ai découvert dans ce compendium quelque chose d'incroyable. J'entendais parler des discours du pape sur le préservatif, l'interdiction de se marier pour les prêtres, et de temps en temps sur la paix. Sans jamais les lire moi-même. Et je croyais bien que l'Eglise était capable de dire des choses « gentilles » sur l'amour du prochain, la paix dans le monde, et la fidélité conjugale. Bref, une Eglise vieillissante et peu en phase avec le monde réel.
Je suis tombé de ma chaise en lisant le compendium. Et depuis, en creusant un peu, je tombe régulièrement de ma chaise en voyant les positions prises par l'Eglise. Pour une taxe sur les échanges financiers (type taxe Tobin), par exemple. Pas fondamentalement contre les OGM s'ils permettent de réduire des problèmes de famine sans créer d'autres problèmes plus graves. L'Eglise ne dit pas que des trucs évidents sur des sujets cathos. L'Eglise nous apprend à lire l'actualité, et prend des positions pas évidentes sur des sujets complexes.
J'ai donc décidé d'ouvrir ce blog dans lequel je vais lire l'actualité, avec les yeux que l'Eglise, entre autres, m'a aidé à former à cette lecture. Je ne prétends pas pouvoir porter la voie de l'Eglise, je n'ai aucun mandat pour ça. Mais voilà ce qu'avec mon regard de chrétien, je peux dire sur le monde qui m'entoure.
Les commentaires sont ouverts pour continuer la discussion...

Je vous souhaite une bonne lecture, et une vie pleine d'action chrétienne, guidée par la charité.