J'attends de la campagne présidentielle qu'elle fasse grandir. Qu'elle me fasse grandir en m'apprenant de nouvelles choses sur le monde, qu'elle me donne des idées d'action dans la société, qu'elle me permette de participer à la vie de mon pays. Qu'elle fasse grandir la société française en permettant un débat d'idées qui fasse avancer, sur certains sujets clés, la vision stratégique que la société porte sur certains débats (travail et économie, environnement et développement durable, famille, et pourquoi pas la laïcité ?...). Qu'elle fasse grandir chaque candidat, enfin, en lui permettant de confronter ses idées à la critique diversifiée qui se presse devant lui, et que cela lui permette d'évaluer au mieux comment contribuer au bien commun.
Dans la presse, propositions et contre-propositions s'affrontent, on cherche les petites phrases, les coups d'éclats, et on décortique les sondages. La semaine dernière, j'ai eu l'occasion de lire deux articles sur les sondages. Le premier, d'ordre général, annonçait quelques fluctuations dans les intentions de vote. Le deuxième expliquait la difficulté qu'on a à traiter du cas Marine Le Pen, puisqu'on ne sait pas bien quelle proportion de gens qui vont voter pour elle disent la vérité lors des sondages. Ces deux articles traitaient du sujet de manière complètement désincarnée. Ils ne parlaient pas des idées, des propositions, des programmes, mais se bornaient à des analyses "mathématiques" des sondages, ce que j'ai trouvé très "plat". D'où une question : Un chrétien a-t-il besoin des sondages d'intention de vote ?
Des impacts directs des sondages qui incitent à la prudence lors de la lecture
Si je me base juste sur les articles annonçant les résultats des sondages, je dois dire qu'ils sont finalement peu facilitateurs pour m'aider à grandir ou faire grandir les autres. Ils ne me disent pas comment je peux faire pour créer de l'emploi, comment protéger l'environnement, ou permettre à plus de familles de rester unies dans ce monde moderne. Du coup, ils détournent mon attention des sujets importants qui sont pourtant des thèmes de campagne... A force de lire des articles sur les sondages, je n'ai même pas lu les programmes complets des principaux candidats ! Enfin, les sondages peuvent avoir des impacts plus ou moins mécaniques sur le vote lui-même, sans aucun lien particulier avec les idées des candidats (les indécis sont attirés par "celui qui va gagner", les petits candidats sont délaissés pour préférer le vote utile, ...). On entend par exemple souvent les commentateurs annoncer des phrases du type "être 2% au dessus dans les sondages, c'est bien parce que ça maintient la mobilisation pour le candidat alors qu'au-delà, il risque de subir une abstention plus forte de son électorat". En lisant autrement la phrase, on apprend donc que les sondages sont des créateurs d'abstention ! L'abstention est un signe du désengagement des citoyens du "minimum syndical" qu'on peut attendre d'eux : voter. L'un des cinq principes de la doctrine sociale de l'Eglise est la participation : "La participation s'exprime en une série d'activités à travers lesquelles le citoyen, [...] directement ou au moyen de ses représentants, contribue à la vie culturelle, économique, sociale et politique de la communauté civile. [...] La participation est un devoir que tous doivent [...] exercer, [...] en vue du bien commun. [...] Tous les comportements qui incitent le citoyen à des formes de participation insuffisantes [...] et à la désaffection répandue pour tout ce qui concerne la sphère de la vie sociale et politique doivent être considérées avec une certaine inquiétude : on pense [...] à la pratique de se limiter à l'expression d'un choix électoral, allant même , dans de nombreux cas, jusqu'à s'en abstenir". (#189-191 du compendium de la DSE). Il faut donc regarder avec inquiétude les risques d'abstention qui sont induits par la présentation de certains sondages.
Nous devons faire attention aux raisons qui nous poussent à chercher les sondages
Par opposition à un contexte de sondage d'opinion hors période électorale qui vise à éclairer un dirigeant sur l'adhésion qu'il suscite et donc le crédit sympathie qu'il peut engager pour lancer une réforme nécessaire, les sondages en période électorale ont pour but principal d'anticiper et de prévenir l'avenir.
Jésus, en nous donnant la parabole du petit oiseau (Mt 6, 25-27) qui "ne sème ni ne moissonne, ni n'amasse de provision" mais que "notre Père céleste nourrit", nous invite à ne pas nous inquiéter de ce que nous aurons à boire et à manger à l'avenir, ou du vêtement que nous utiliserons pour nous vêtir. Travaillant aux oeuvres du Père, nous aurons nourriture et vêtement puisque le Père tient à nous bien plus qu'aux petits oiseaux. Jésus nous demande de "considérer les choses, les saisons et les hommes avec la confiance des fils qui savent ne pas pouvoir être abandonnés par un Père prévoyant" (#453 du compendium). S'inquiéter du nom du prochain président, pour la grande majorité d'entre nous, "ne prolongera pas notre existence même de quelques instants", et chercher à le connaître à l'avance pour ne pas être pris au dépourvu nous freine dans notre élan à "utiliser le temps dont chacun dispose, - le présent - en agissant avec amour filial pour la diffusion de l'Evangile en chaque lieu de la planète." comme nous l'a demandé Jean-Paul II le 31/12/2001 dans son homélie du Te Deum en nous rappelant que "Pour nous croyants, le sens et le but de l'histoire et de tout événement humain se trouvent donc dans le Christ." (N. Sarkozy ou F. Hollande, là n'est pas la question)
Cette exhortation à ne pas se perdre dans le futur est un appel à vivre le présent de manière active. "En effet, le plan divin du Salut ne place pas la créature humaine dans un état de pure passivité, [...] car le rapport avec Dieu [...] est un rapport de filiation : le même que vit Jésus à l'égard du Père" (#39 du compendium). Entrer dans les débats de fond, militer pour les politiques familiales, soutenir un candidat qui porte des idées compatibles avec la foi chrétienne, ou aller protéger l'environnement et faire vivre des PME qui créent de l'emploi, voilà ce à quoi nous appelle le Christ aujourd'hui, dès avant le changement éventuel de président. La société civile doit continuer à se construire et à grandir même en période électorale. Les tenants du pouvoir doivent continuer à assurer leur rôle jusqu'au dernier moment, présents à leur fonctions et sans s'inquiéter de l'issue des élections. L'expression française "fin de règne" qui décrit des comportements irresponsables pris en fin de mandat par des hommes politiques anticipant leur départ montre l'importance qu'il y a à ce que l'anticipation de changements futurs ne dénature pas la qualité et l'importance de l'action dans le présent.
Lors de cette campagne électorale, les chrétiens porteront donc un regard attentif à ce que les sondages ne détournent pas le sens de leur pensée, leur attention aux sujets politiques importants, la portée de leur action dans le présent de leur vie. La confiance en Dieu notre Père qui veille à nous ouvrir à chacun un chemin de vie et de sanctification permettra à tous, candidats ou simples citoyens, de rester unis dans la charité que le Christ nous demande d'avoir les uns pour les autres.